Prendre acte
De cet élan qui soudain bourgeonne, pousse, enfle et s'impose.
La terre.
Ce qu'elle concentre.
Entre les lignes abruptes de la ville, la verticalité des habitats d'après-guerre, les trottoirs étroits, les routes encombrées d'usages, l'urbanisme sauvage, dense, contrasté, les miroirs vitrés face à la mer, la recherche du bleu et de ses reflets dorés jusqu'à l'éblouissement.
La terre occupe encore le terrain.
Elle est délaissée pourtant, en bordure, dans les marges de la ville. Là où le geste urbain témoigne de cette relation désormais impensée à la terre, du processus d’éloignement : la terre en décors, sa végétation touffue qui avale les tonnes de détritus comme le dessous du lit d’une chambre d’adolescent.e. La terre comme potentialité d’extension urbaine, comme zone à construire, comme zone à densifier pour que circule encore et plus l’humanité aux prises d’une danse de Saint Guy dont la viralité démente nous tétanise.
Des hommes et des femmes, une poignée, ont fait ce choix de travailler avec la terre, engageant cette coopération intime, viscérale et transformatrice, élancés en sachant et en ne sachant rien.
Car c’est un chemin qui s’éprouve, dans le dur et la joie brutale du quotidien. Les corps se modèlent dans la tension et la répétition des gestes, l’investissement est total et ne se compte déjà plus pareil.
La terre a un boulier à soi qu’elle emploie en virtuose de l’espace et du temps.
Des hommes et des femmes, donc, seul.es ou en collectif, cultivent le lopin.
Les observer à la lisière du champ, comme l’hippopotame immergé dans le fleuve embrasse du regard le tremblement de la libellule et du nénuphar, prendre acte de cet élan qui soudain bourgeonne, pousse, enfle et s'impose, être là, en passeur délicat et saisir ce qu’il advient.
Texte de Claire Moreau pour ce travail en cours documentant les fermes urbaines de la cité phocéenne.